Commentaire de la décision rendue par le tribunal
de 1ère instance de Bruxelles
le 16 octobre 1996

Agjpb, SAJ, Sofam et 21 journalistes / Central Station
IDDN certification

Texte de la décisionTexte de la décision


Après les textes d'une oeuvre musicale, dans l'affaire Brel, c'est au tour de l'oeuvre littéraire stricto sensu de bénéficier de la protection sur les droits d'auteur lors d'une diffusion sur Internet.

Les faits sont simples. La société belge Central Station, créée par les principaux éditeurs belges de la presse quotidienne, rassemble des articles de presse, transmis par ces derniers. Elle en diffuse certains sur le réseau Internet. Une association de journalistes, deux sociétés de défense des droits d'auteur, ainsi que les journalistes concernés, ont reproché à Central Station de ne pas respecter leurs droits d'auteur, lors de cette diffusion sur le réseau mondial.
Le tribunal de première instance de Bruxelles, qui avait à se prononcer sur ce problème, a condamné la société pour non-respect des droits patrimoniaux et des droits moraux.

Plusieurs questions se posaient aux juges. La diffusion sur l'Internet constitue-t-elle une reproduction et une diffusion, au sens de la législation sur les droits d'auteur ? Pour procéder à la reproduction et à la diffusion d'un article de journal, en dehors de son support habituel, faut-il demander l'autorisation à l'auteur, ou à son éditeur ? Le fait de ne pas mentionner le nom de l'auteur de l'oeuvre lors de sa diffusion, est-il de nature à porter atteinte aux droits moraux de celui-ci ?

Analysons-les successivement :

Il est tout d'abord clair pour le tribunal, que la manipulation électronique, permettant de passer d'un fichier vers le serveur Internet de Central Station, constitue une reproduction au sens de la loi sur le droit d'auteur. Ce point qui peut sembler être un détail, mérite un peu d'attention : la qualification est en effet intéressante. Même s'il suffit d'appuyer sur quelques fenêtres bien précises, la reproduction est caractérisée dès lors que l'oeuvre est dupliquée. L'acte matériel de la personne n'est pas constitutif de l'infraction. Seule la constatation de la reproduction compte car cette dernière peut résulter d'un simple programme.
Toujours sur la première interrogation, le tribunal considère qu'il y a bien diffusion dès lors que les articles sont accessibles au public, comme peut l'être par exemple un concert. Le tribunal de grande instance de Paris a fait la même analyse, dans une ordonnance en référé du 14 août 1996, relative à la diffusion sur le serveur d'un particulier d'une œuvre de Jacques Brel. Le particulier estimait en effet, que son site étant privé, il n' y avait pas diffusion. Or il est bien évident, et le tribunal de Paris comme celui de Bruxelles ont fait la même analyse, que l'accès au serveur est possible à tout utilisateur du réseau, ceci à l'initiative de celui qui crée le serveur. Il "favorise l'utilisation collective" dit le tribunal de Paris. Nous pensons même, comme certains l'ont dit ici (Marie-Hélène Tonnellier et Stéphane Lemarchand, Expertises septembre 1996 n°197), que le but du serveur n'est pas simplement de "favoriser" mais essentiellement de destiner l'oeuvre à l'usage collectif. C'est un peu différent.

Sur la deuxième interrogation, il faut simplement se demander qui est détenteur des droits sur ces articles. Si les auteurs d'articles ont consenti à voir paraître leur article dans leur journal, se pose la question de savoir s'ils ont accepté dans leur contrat, de voir paraître leur article sur un autre support, en l'espèce Internet.
La loi belge (article 3 de la loi du 30 juin 1994, loi du 22 mars 1886 et Cass. 19 janvier 1956, Pas I, 484) comme la loi française (article L 131-3 du code de la propriété intellectuelle) disposent que l'on ne saurait étendre la cession de droits au-delà de ce qui aura été clairement stipulé au contrat entre les parties. En l'espèce, si les auteurs n'ont pas fait allusion à une diffusion sur un autre support (comme Internet), les juges ne peuvent l'étendre au-delà de ce que les parties ont décidé au contrat. Les éditeurs n'ont pas les droits d'auteurs nécessaires à cette diffusion. Comme il l'a été dit par les juges, Central Station ne peut diffuser les articles de journaux qu'après avoir obtenu l'accord des auteurs.
D'autre part, la société Central Station a aussi avancé pour sa défense que son activité correspondait strictement à l'activité des éditeurs avec lesquels les journalistes ont contracté. Il y aurait eu de ce fait, cession implicite des droits. Non dénué de sens, ce point ne fut point retenu par les juges belges au motif que le serveur offre un service beaucoup plus sélectif, s'adressant à une clientèle internationale bien différente. Ce point est intéressant car il reviendrait à accepter que les journalistes puissent diffuser leur articles sur Internet tout en respectant en France l'article L. 121-8 du code la propriété intellectuelle. Il permet aux journalistes d'exploiter ou de faire reproduire leurs articles "sous quelque forme que ce soit, pourvu que cette reproduction ou cette exploitation ne soit pas de nature à faire concurrence à ce journal ou à ce recueil périodique".

Enfin, toute reproduction d'un article doit être accompagnée de la mention du nom de l'auteur. Ce droit moral de paternité est l'attribut de tout auteur et l'on peut s'étonner d'un tel oubli de la part d'une émanation de société d'éditeurs...
L'étude de cette décision nous ramène à l'éternel problème de l'identification du titulaire des droits patrimoniaux sur une œuvre Aujourd'hui, à l'ère de l'information, il serait inquiétant que le producteur puisse prétendre ignorer qui est le titulaire des droits, ou à défaut, qui joindre pour obtenir cette information. L'identification facile des oeuvres et de leurs ayants droit est donc une nécessité quand on sait avec quelle rapidité les comportements s'installent autour d'Internet. La tâche actuelle est de développer "les réflexes juridiques".

 

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