Après les textes d'une oeuvre musicale, dans l'affaire Brel, c'est au tour de
l'oeuvre littéraire stricto sensu de bénéficier de la protection sur les droits
d'auteur lors d'une diffusion sur Internet.
Les faits sont simples. La société belge Central Station,
créée par les principaux éditeurs belges de la presse
quotidienne, rassemble des articles de presse, transmis par ces
derniers. Elle en diffuse certains sur le réseau Internet. Une
association de journalistes, deux sociétés de défense des
droits d'auteur, ainsi que les journalistes concernés, ont
reproché à Central Station de ne pas respecter leurs droits
d'auteur, lors de cette diffusion sur le réseau mondial.
Le tribunal de première instance de Bruxelles, qui avait à se
prononcer sur ce problème, a condamné la société pour
non-respect des droits patrimoniaux et des droits moraux.
Plusieurs questions se posaient aux juges. La diffusion sur l'Internet constitue-t-elle une reproduction et une diffusion, au sens de la législation sur les droits d'auteur ? Pour procéder à la reproduction et à la diffusion d'un article de journal, en dehors de son support habituel, faut-il demander l'autorisation à l'auteur, ou à son éditeur ? Le fait de ne pas mentionner le nom de l'auteur de l'oeuvre lors de sa diffusion, est-il de nature à porter atteinte aux droits moraux de celui-ci ?
Analysons-les successivement :
Il est tout d'abord clair pour le tribunal, que la
manipulation électronique, permettant de passer d'un fichier
vers le serveur Internet de Central Station, constitue une
reproduction au sens de la loi sur le droit d'auteur. Ce
point qui peut sembler être un détail, mérite un peu
d'attention : la qualification est en effet intéressante. Même
s'il suffit d'appuyer sur quelques fenêtres bien précises, la
reproduction est caractérisée dès lors que l'oeuvre est
dupliquée. L'acte matériel de la personne n'est pas constitutif
de l'infraction. Seule la constatation de la reproduction compte
car cette dernière peut résulter d'un simple programme.
Toujours sur la première interrogation, le tribunal considère qu'il y a bien
diffusion dès lors que les articles sont accessibles au public, comme peut
l'être par exemple un concert. Le tribunal de grande instance de Paris a fait
la même analyse, dans une ordonnance en référé du 14 août 1996, relative à la
diffusion sur le serveur d'un particulier d'une uvre de Jacques Brel.
Le particulier estimait en effet, que son site étant privé, il n' y avait pas
diffusion. Or il est bien évident, et le tribunal de Paris comme celui de Bruxelles
ont fait la même analyse, que l'accès au serveur est possible à tout utilisateur
du réseau, ceci à l'initiative de celui qui crée le serveur. Il "favorise
l'utilisation collective" dit le tribunal de Paris. Nous pensons même,
comme certains l'ont dit ici (Marie-Hélène Tonnellier et Stéphane Lemarchand,
Expertises septembre 1996 n°197), que le but du serveur n'est pas simplement
de "favoriser" mais essentiellement de destiner l'oeuvre à l'usage
collectif. C'est un peu différent.
Sur la deuxième interrogation, il faut simplement se demander
qui est détenteur des droits sur ces articles. Si les
auteurs d'articles ont consenti à voir paraître leur article
dans leur journal, se pose la question de savoir s'ils ont
accepté dans leur contrat, de voir paraître leur article sur un
autre support, en l'espèce Internet.
La loi belge (article 3 de la loi du 30 juin 1994, loi du 22 mars
1886 et Cass. 19 janvier 1956, Pas I, 484) comme la loi
française (article L 131-3 du code de la propriété
intellectuelle) disposent que l'on ne saurait étendre la cession
de droits au-delà de ce qui aura été clairement stipulé au
contrat entre les parties. En l'espèce, si les auteurs n'ont pas
fait allusion à une diffusion sur un autre support (comme
Internet), les juges ne peuvent l'étendre au-delà de ce que les
parties ont décidé au contrat. Les éditeurs n'ont pas les
droits d'auteurs nécessaires à cette diffusion. Comme il l'a
été dit par les juges, Central Station ne peut diffuser les
articles de journaux qu'après avoir obtenu l'accord des auteurs.
D'autre part, la société Central Station a aussi avancé pour
sa défense que son activité correspondait strictement à
l'activité des éditeurs avec lesquels les journalistes ont
contracté. Il y aurait eu de ce fait, cession implicite des
droits. Non dénué de sens, ce point ne fut point retenu par les
juges belges au motif que le serveur offre un service beaucoup
plus sélectif, s'adressant à une clientèle internationale bien
différente. Ce point est intéressant car il reviendrait à
accepter que les journalistes puissent diffuser leur articles sur
Internet tout en respectant en France l'article L. 121-8 du code
la propriété intellectuelle. Il permet aux journalistes
d'exploiter ou de faire reproduire leurs articles "sous
quelque forme que ce soit, pourvu que cette reproduction ou cette
exploitation ne soit pas de nature à faire concurrence à ce
journal ou à ce recueil périodique".
Enfin, toute reproduction d'un article doit être accompagnée de la mention
du nom de l'auteur. Ce droit moral de paternité est l'attribut de tout auteur
et l'on peut s'étonner d'un tel oubli de la part d'une émanation de société
d'éditeurs...
L'étude de cette décision nous ramène à l'éternel problème de l'identification
du titulaire des droits patrimoniaux sur une uvre Aujourd'hui, à l'ère
de l'information, il serait inquiétant que le producteur puisse prétendre ignorer
qui est le titulaire des droits, ou à défaut, qui joindre pour obtenir cette
information. L'identification facile des oeuvres et de leurs ayants droit est
donc une nécessité quand on sait avec quelle rapidité les comportements s'installent
autour d'Internet. La tâche actuelle est de développer "les réflexes juridiques".
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