Commentaire de l'ordonnance de référé du Tribunal de Grande Instance de Paris, du 20 novembre 2000

Association "Union des Etudiants Juifs de France", la "Ligue contre le Racisme et l'Antisémitisme", le "MRAP" (intervenant volontaire) / Yahoo ! Inc. et Yahoo France


Brève JnetBrève Jnet

Texte de l'ordonnanceTexte de l'ordonnance du 22 mai 2000

 

Une décision qui ouvre un vrai débat politique

A l'écart des pressions et des critiques, le TGI de Paris reprenant ses positions de son ordonnance controversée du 22 mai dernier a réaffirmé le 20 novembre, rapport à l'appui, la condamnation de Yahoo Inc.. A compter d'un délai de trois mois et sous astreinte de 100 000 F par jour de retard, le portail américain doit rendre opérationnel le filtrage destiné à identifier les internautes français afin de leur interdire l'accès au site de ventes aux enchères d'objets nazis. Le juge Jean-Jacques Gomez ne s'est pas contenté d'ordonner une action, il a imaginé les modalités techniques de son exécution sans remettre en cause le site américain sur lequel il n'a aucune compétence. "Conscient que sa décision pourrait ne pas être exécutée, le juge a donc cherché les moyens de la rendre opérationnelle ce qui est novateur mais aussi courageux", estime Olivier Itéanu, avocat à la cour.

Si l'affaire Yahoo suscite un débat véritablement politique, sociétal et quasi philosophique, le juge pouvait difficilement se placer sur un autre niveau que sur celui de la loi pénale française, qui a vocation à s'appliquer dès l'instant qu'il existe un rattachement avec la France. "Le juge a mis en œuvre les principes du code pénal français en matière de loi applicable, comme les Américains l'ont fait de leur côté", rappelle Christiane Féral-Schuhl, avocat associé du cabinet Salans. Elle fait référence à une décision d'une cour fédérale de l'Etat de New York, d'août dernier, qui a considéré qu'un site qui diffusait des paris sportifs d'Antigua, à destination d'un public américain, violait la loi américaine et a donc condamné le responsable du site.

Beaucoup reprochent, par ailleurs, au juge d'avoir pris une décision portant atteinte à la liberté d'expression. Encore faut-il savoir de quoi on parle. Si elle est totale et absolue aux Etats-Unis, la liberté d'expression est, en France, limitée par des dispositions d'ordre public comme celle relative à l'interdiction "du port ou l'exhibition d'uniformes, insignes ou emblèmes rappelant ceux d'organisations ou de personnes responsables de crimes contre l'humanité" (article R 645-1 du code pénal, en cause dans l'affaire). "Il n'existe pas une liberté d'expression mais des libertés d'expression. Et les internautes sont des citoyens qui appréhendent cette notion différemment selon leur culture", rappelle Christiane Féral-Schuhl.

Au delà du problème juridique qu'elle soulève, cette ordonnance de référé, dont Yahoo n'a pas encore décidé s'il y faisait appel, a le mérite de mettre sous les projecteurs des questions de fond jusqu'ici occultées. Ne risque-t-on de morceler l'internet en autant d'Etats que compte la planète ? Mais à l'opposé, le fait de renoncer à appliquer les lois nationales ne met-il pas en péril le concept même de souveraineté nationale ? et à ne pas intervenir au nom de la liberté, ne revient-on pas à reconnaître que la seule loi applicable sur internet est la lex americana ?

Sylvie Rozenfeld

 

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Texte de l'ordonnanceTexte de l'ordonnance du 22 mai 2000


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